mercredi 24 novembre 2010

"Cher capital, pauvre travail" : la presse capitaliste s'inquiète de l'ampleur de la lutte des classes

Gauche Marxiste - La presse capitaliste (ci-dessous L'Expansion) s'inquiète du retour et de l'ampleur prise par la lutte des classes ces derniers mois. Et de nous livrer une redoutable synthèse de l'exploitation capitaliste actuelle sans comprendre toutefois la nature même du capitalisme, qui n'est ni "moralisable" ni "à réguler".

Et si c'était le grand retour de la lutte des classes ? Le CAC 40 fait la part belle aux actionnaires et laisse les salariés sur leur faim. Plongée dans cette mécanique de répartition des richesses dangereuse pour la croissance.

49 milliards d'euros

C'est la somme versée par Total entre 2003 et 2009 à ses actionnaires. Contre 41 milliards payés à ses salariés.

"Aujourd'hui, le capital démolit le travail. Augmenter les dividendes pour les actionnaires et en même temps mettre les salariés à la porte tient du sacrilège." Cette diatribe n'est pas proférée par un gréviste CGT à la tête d'un cortège de manifestants, mais par un prêtre, le père Philippe Bachet, lors d'une "procession" organisée à Villemur-sur-Tarn le dimanche 7 novembre avec ceux de ses fidèles qui ont été licenciés de l'usine Molex. Don Camillo transformé en Peppone ! Sans doute un beau folklore, sur cette terre réfractaire du Midi, mais aussi un signe d'exaspération plus profond, palpable dans tout le pays : "Même dans les sociétés les plus puissantes et les plus rentables, les salariés français voient le partage des richesses se déformer au bénéfice des profits. Hier, ils ne comprenaient pas, aujourd'hui, ils ont peur", décrypte l'économiste de Natixis, Patrick Artus.

Et les chiffres publiés par L'Expansion sur les différences de traitement entre salariés et actionnaires au sein de quelques fleurons français ne vont certainement pas apaiser leurs craintes ni leurs rancoeurs. Sur les sept dernières années (entre 2003 et 2009), 24 groupes du CAC 40 croulant sous les profits ont augmenté leur masse salariale par employé de seulement 8 % en moyenne, alors que les dividendes par action gonflaient de 110 %. Les uns se serrent la ceinture, les autres se livrent à une orgie de coupons. Prototype de ce favoritisme actionnarial : L'Oréal. Les actionnaires valent bien un doublement du dividende entre 2003 et 2009, mais les sommes consacrées aux rémunérations restent désespérément étales.

Total se surpasse pour ses actionnaires

A Vallourec, le clientélisme boursier tient même de la caricature : un rendement en hausse de 1 000 %. "Notre politique de distribution correspond aux meilleures pratiques du CAC 40, se défend Etienne Bertrand, chargé des relations avec les investisseurs. Des dividendes réguliers et suffisamment attractifs - un tiers des résultats du groupe en moyenne - sont appréciés des investisseurs à long terme que nous recherchons, comme les fonds de pension peu spécu-latifs."

Mieux - ou pis - avec Total, le champion des profits toutes catégories. Ici, la rente versée aux actionnaires entre 2003 et 2009 - sous forme de dividendes et de rachats d'actions - dépasse de 19 % les sommes dédiées à la rémunération des salariés. Un fait exceptionnel, même parmi les généreux copains du CAC. De quoi ressortir les piquets de grève pour les planter aux portes des raffineries ? "A quoi bon repartir pour un tour ? La lutte entre le capital et le travail ne se fait plus à armes égales. Les investisseurs placent et déplacent leurs milliards sur les carnets d'ordres à la vitesse de la lumière. Ils peuvent mettre les salariés - en particulier français - en concurrence avec une armée de travailleurs sous-payés", précise Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique, coauteur d'une étude sur le partage de la valeur ajoutée.

Entre 1999 et 2009, les employés de Lafarge dans le monde ont augmenté leur productivité de 56 %, quand leurs salaires progressaient d'à peine 26 %.

Et, dans ce face-à-face inégal, les actionnaires enfoncent le clou depuis le krach boursier. Pris dans le piège de la spéculation, ils auraient pourtant dû en rabattre sur leurs exigences exorbitantes de return on equity. C'est l'inverse qui se produit ! "Pour soulager leur perte en capital sur les marchés, ils veulent garder des dividendes élevés. Cette année, le CAC 40 vient de leur verser 36 milliards d'euros, soit 77 % de leurs bénéfices", calcule Sonia Bonnet-Bernard, expert financier pour le cabinet Ricol-Lasteyrie. Certains patrons de la cote font même du zèle pour s'attirer les bonnes grâces de leurs actionnaires. Malgré ses petits 327 millions de bénéfices en 2009, Carrefour fait ainsi valoir le double de dividendes et puise dans ses réserves, comme une douairière céderait des biens pour doter sa fille.

Et, au fait, pour qui une telle sollicitude ? Le retraité californien, le trader spéculateur, le gestionnaire de fonds ? Un peu tout le monde à la fois. "Les fonds de pension se trouvent eux-mêmes sous la pression de leurs souscripteurs, retraités ou épargnants. Avec le vieillissement démographique, ils doivent leur servir des rentes en hausse de 6 à 7 % par an. Ils répercutent logiquement cette demande sur les patrons des multinationales, lesquels transmettent les impératifs aux salariés", explique Jean-Pierre Hellebuyck, vice-président d'Axa Investment Managers, à la tête de 522 milliards d'euros confiés en partie par les fonds de pension. Chacun agit donc d'après les instructions de son mandant.

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