lundi 18 octobre 2010

« Cancer du bitume » : les patrons accusés d'empoisonner les ouvriers

Trois familles d'ouvriers morts, dont un en Franche-Comté et un dans l'Ain, portent plainte pour « empoisonnement » contre les employeurs. Les procureurs de Besançon et de Bourg-en-Bresse viennent d'être saisis

Des employeurs qui « empoisonnent » une partie de leurs salariés, un crime passible de la cour d'assises ? L'accusation est hardie. Mais Jean-Jacques Rinck n'en démord pas. Dans son bureau près de la place Bellecour à Lyon, l'avocat reçoit au milieu de piles de dossiers. Il a les traits tirés de ceux qui ont travaillé des nuits entières depuis des mois.

Des témoignages, de la documentation scientifique, l'appui de médecins prestigieux comme le Professeur Thomas, il a fourbi ses armes pour mener un combat qui paraît d'emblée disproportionné : ses adversaires sont les multinationales du BTP et indirectement celles de la pétrochimie !

L'affaire ressemble de très près à deux scandales retentissants du domaine de la santé, ceux de l'amiante et du sang contaminé. Comme dans le premier cas, les victimes sont des ouvriers, et même souvent des étrangers, ce qui peut expliquer la passivité des autorités sanitaires.

Comme dans le deuxième cas, l'accusation est grave, « l'empoisonnement », et les ingrédients sont les mêmes : négligence coupable mâtinée de recherche du profit immédiat.

Me Rinck mène depuis deux ans le combat aux côtés de la famille de José Serrano. Cet ouvrier portugais a travaillé comme conducteur d'engin ou épandeur de bitume pendant vingt ans pour la société Eurovia de Bourg-en-Bresse. Le soir, il rentrait « le visage et les bras noirs comme un mineur ». En 2008, il a été emporté par une tumeur cancéreuse au visage, après des souffrances atroces. Deux autres familles de victimes viennent de rejoindre le combat de sa veuve et de ses enfants, celles de Jacky Charron, décédé d'une leucémie en mai 2000, et de Georges Mathie, mort en 2008 d'un cancer de la bouche. Trois plaintes pour « crime d'empoisonnement » contre leurs employeurs, Eurovia, Jean Lefèvre et la DDE du Doubs, viennent ainsi d'atterrir sur le bureau des procureurs de Bourg-en-Bresse, Orléans et Besançon.

Avec une chance d'aboutir ? Au pire, l'avocat lyonnais envisage une requalification en « administration de substances nuisibles ». Pour lui, les faits sont là : « Le mobile, c'est l'enrichissement des dirigeants des entreprises du BTP. Le poison, c'est le bitume, notamment les résidus du raffinage du pétrole et les Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) utilisés comme fluidifiants. Ils sont hautement toxiques et cancérigènes, s'indigne Jean-Jacques Rinck. Depuis le XVIIIe siècle, avec les études sur les ramoneurs de Londres, on connaît le danger. Il y a quantité d'articles scientifiques ou de témoignages de médecins du travail, même ceux qui sont payés par les employeurs mis en cause. Les employeurs savent qu'ils utilisent un poison, potentiellement mortel, mais ils le cachent aux ouvriers et aux syndicats. Aucune précaution n'est prise et ce n'est pas à la solidarité nationale de supporter les fautes des industriels. »

Frédéric Boudouresque

En mai, la société Eurovia condamnée pour « faute inexcusable »

Le 10 mai dernier, le Tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Bourg-en-Bresse a rendu une première décision dans l'affaire du « cancer du bitume ».

La famille de José Francisco Andrade Serrano, décédé en 2008, avait obtenu gain de cause. La justice reconnaissait pour la première fois la « faute inexcusable » d'un employeur, la société Eurovia, une filiale d'un géant des travaux publics, le groupe Vinci.

Une décision frappée immédiatement d'appel. Un nouveau procès aura donc lieu à Lyon au début de l'année prochaine.

Le Tass avait en partie tenu compte des arguments de l'employeur de José Serrano, en invoquant le risque conjugué des UV et des inhalations de fumées de bitume dans les causes de son décès.

Le Progrès

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