samedi 2 octobre 2010

Le capitalisme tue : la dangerosité des sociétés minières sans foi ni loi

Les 33 ouvriers prisonniers de la mine de San José (Chili) ont poussé un soupir de soulagement, vendredi 17 septembre : le premier forage de secours (25 centimètres de diamètre) les a atteints 630 mètres sous terre. Reste maintenant à l'élargir à 70 cm pour les évacuer.

Ils ont beaucoup de chance : ils sont vivants. Des milliers de leurs camarades périssent, chaque année, dans l'exploitation des minerais du monde, comme le prouve la funèbre litanie des accidents en sous-sol.

Mai 2010, coups de grisou dans des mines de charbon : 66 morts en Sibérie, 28 en Turquie, 17 en Chine. Juin, toujours le grisou : deux morts en Ukraine, 73 en Colombie ; 47 en Chine. Juillet : 80 disparus dans l'effondrement d'une mine d'or au Ghana ; 38 morts dans l'inondation d'une mine en Chine. Août : 6 morts dans une mine d'or illégale au Venezuela. 19 septembre : trois asphyxiés au méthane en Ukraine.

Au regard de cette hécatombe, les statistiques de l'insécurité minière mondiale sont étonnamment muettes. Celles que l'Organisation internationale du travail (OIT) met en ligne concernent surtout les pays où les mines sont les plus sûres : en Australie, 13 morts et/ou blessés en 2000, 7 en 2008. Quant à la Chine, championne du monde de la dangerosité, elle annonce avoir réduit le nombre des décès dans ce secteur de 3 215 en 2008 à 2 631 en 2009.

"Il est difficile d'obtenir des statistiques fiables au plan mondial. Beaucoup d'accidents se produisent dans les mines illégales et ne sont pas recensés, explique Nielen van der Merwe, titulaire de la chaire d'ingénierie des minéraux à l'université de Witwatersrand (Afrique du Sud). C'est le cas en Chine où le secteur sous contrôle de l'Etat affiche un bon niveau de sécurité (quand) celui qui échappe à sa surveillance demeure dangereux."

Des bricolages meurtriers

"Même phénomène en Afrique du Sud, où le taux des accidents ne cesse de baisser, poursuit-il. Le nombre total des morts est maintenant de 170 par an, soit moins de la moitié qu'il y a dix ans, pour un secteur qui emploie 550 000 salariés. Reste un vrai problème avec les mineurs illégaux qui travaillent sans surveillance et sans souci de sécurité. En dépit des efforts des propriétaires des mines et de la police, ils continuent à sévir."

Quels sont les facteurs d'aggravation des risques ? Tous les bricolages motivés par l'appât du gain sont meurtriers un jour ou l'autre. Rouvrir une mine ancienne et profonde coûte moins cher, mais sa structure est fragilisée par les galeries qui y ont été percées à coups d'explosifs. Ne pas évacuer les eaux de ruissellement et les gaz économise des milliers de dollars, de pesos ou de yuans, mais augmente le danger de noyade ou d'explosion.

Aussi, sous la poussée de l'appétit de l'industrie mondiale pour les métaux et le charbon, la recherche de la productivité a été générale.

"Le système salarial est très important, affirme Alain Rollet, ancien directeur général de Charbonnages de France. S'il est très dépendant de la production, la sécurité décroît, car le mineur a la tentation d'abattre un grand linéaire avant de "boiser" avec des soutènements. S'il "tirait" plus court, il risquerait moins un effondrement de la voûte, mais il progresserait moins vite." Vladimir Poutine, le premier ministre russe, a mis le doigt sur cette plaie. "Je recommande aux employeurs de modifier avec les syndicats le système de rémunération de l'accord de branche pour augmenter jusqu'à 70 % la part fixe du salaire, a-t-il déclaré en mai. Cela réduira la tentation des mineurs d'accroître la production au mépris de leur propre sécurité."

Quelles sont les autres parades ? La ratification de la convention 176 de l'OIT - au-delà des 24 Etats qui l'ont adoptée -, car elle prévoit des mesures indispensables "à la sécurité et à la santé dans les mines" : présence d'équipements performants, surveillance des risques, inspections fréquentes et rigoureuses, élaboration de procédures et de systèmes de sauvetage, etc.

Les mineurs doivent aussi être écoutés, sans risquer d'être punis, quand ils refusent de travailler dans des conditions dangereuses. Ils doivent être formés, car il faut trois ans pour faire un bon mineur. Le travail à temps partiel ou en alternance "agriculture-mine" comme en Mongolie est déconseillé, car il émousse les réflexes de sécurité de l'ouvrier.

Corruption

"S'il n'existe pas de texte national contraignant pour veiller au professionnalisme des exploitants, explique Alain Rollet, ceux-ci ne se cassent pas la tête et font le minimum. Seule la menace d'une sanction les pousse à se soucier de la vie des mineurs." C'est ce que le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a voulu dire quand il a demandé, en juillet, "aux responsables des mines d'effectuer les quarts avec leurs équipes et de descendre dans les puits avec les ouvriers".

Encore faut-il que les autorités locales et les organismes de contrôle ne ferment pas les yeux sur les manquements aux règlements, comme cela s'est produit au Chili. Malheureusement une étude publiée par Ernst & Young, le 7 septembre, ne rassure pas sur cette vigilance : elle rappelle que le secteur minier est le plus menacé par la fraude et la corruption. Le "zéro accident" n'est donc pas encore pour demain.

Le Monde

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